Quand on se présente comme le « gamin le plus cool d’Afrique », la France, où il reste méconnu, compte finalement assez peu. Bien sûr, Davido aime Paris, ses palaces, ses boutiques de luxe et assure avec nonchalance qu’il compte bien enflammer le Zénith prochainement. Le chanteur et producteur nigérian est pourtant l’une des plus grandes stars du continent africain.
Le jeune homme aux allures de lascar des beaux quartiers remplit des salles et des stades entiers. Chacune de ses chansons deviennent des tubes qui passent en boucle, de Lagos à Addis-Abeba, de Niamey à Johannesburg, où toujours plus de chefs d’Etat aiment à s’afficher aux côtés de l’idole des jeunes. A Londres, Davido vient de lancer une ligne de vêtements branchés avec un créateur nigérian qu’il a présenté à la fashion week de Lagos, fin octobre. A New York, où il collabore avec des rappeurs de renom, l’artiste incarne une hype africaine sophistiquée et fait salle comble partout où il se produit. A tel point que Sony a flairé le bon filon.
« Aux Etats-Unis, c’était pas génial d’être africain »

L’Africain qui se vante d’être le plus suivi au monde sur les réseaux sociaux a le corps recouvert de tatouages, le cou et les doigts ornés de bijoux clinquants, une barbiche soignée, un goût prononcé pour la mode, le whisky et l’herbe. La star reçoit, avachie, dans le fauteuil d’un grand salon vide d’une résidence sécurisée de Lagos, la capitale économique du Nigeria. Un squat de luxe provisoire pour ce fils de milliardaire dont le parrain n’est autre que l’industriel nigérian Aliko Dangote, l’homme le plus riche du continent. Sa villa somptueuse avec piscine, qui abrite aussi ses studios, est en travaux.
« Je suis devenu la plus grande star d’Afrique et je reçois trop d’amour de mes fans », crâne David Adedeji Adeleke, né à Atlanta il y a vingt-quatre ans. « Quand j’étais petit aux Etats-Unis, c’était pas génial d’être africain. Avec mes chansons, je veux changer l’image des miens, ajoute-t-il. Et c’est ici que ça se passe, à Lagos, le centre du business et de la créativité d’un continent où tu ne peux pas te poser et attendre. En Afrique, pour réussir, tu dois toujours être en mouvement, agile, habile, débrouillard. »
Davido se dit volontiers « Lagos addicted », accro aux soirées extravagantes, à ce capitalisme ultra sauvage, à cette démesure normale à ses yeux. Il est un pur produit de la mégapole nigériane frénétique, devenue capitale d’une nouvelle industrie musicale dont il est l’un des maîtres incontestés. Il y a grandi après Atlanta, l’a quittée puis y est revenu en 2011 lorsqu’il a raté, et de loin, son diplôme de management à Oakwood University à Huntsville, Alabama, une fac afro-américaine gérée par les adventistes du septième jour, un mouvement évangélique financé, au Nigeria, par son père, Chief Deji Adeleke.
« Pas le temps de m’intéresser aux envieux »
Au grand dam de l’oligarque nigérian à la fortune estimée à 700 millions de dollars par la revue Forbes, Davido ne s’est pas passionné pour l’économie mais pour la musique, la bringue et les plaisirs excessifs d’une certaine élite nigériane qui a parfois pu confondre la renaissance d’un continent avec la flambée des prix du baril. « J’ai été un sale gosse, peut-être un sale gosse de riche comme disent certains, mais je n’ai pas le temps de m’intéresser aux envieux », parvient-il à articuler, d’une voix cassée, tout en déjeunant en cette fin d’après-midi.
En moins de cinq ans, le jeune homme s’est imposé comme le oga (« chef », en yoruba) de l’afropop, style musical Made in Nigeria qui puise dans les rythmiques traditionnelles panachées d’un zeste d’afrobeat du légendaire Fela Kuti, de hip-hop et d’électro, avec des touches de rumba congolaise et de coupé-décalé ivoirien.

Finie l’étiquette surannée de la « world music », le folklore de la carte postale occidentale réduisant la musique africaine à des clichés exotiques. Entouré de producteurs et de beatmakers avides de succès, l’alchimiste Davido est parvenu à trouver la formule magique de la nouvelle musique contemporaine africaine. Il s’est mué en une machine à tubes qui pourraient être autant d’hymnes à l’Afrique urbaine, ambitieuse et décomplexée qu’il berce et fait rêver. A la nigériane, donc en grand.
Payé en amour et en cash
Sur un continent où les héros mythiques des luttes de libération, pour certains devenus des despotes déclinants, ne font plus vraiment rêver les jeunes, Davido comble un vide dans l’imaginaire collectif et incarne l’espoir. Interrogé sur ses références intellectuelles, idéologiques et musicales, l’artiste se fait moins volubile. Après un instant de réflexion, il cite Nelson Mandela et son « président », Fela Kuti, puis égrène des noms de rappeurs américains.
« Moi ce que je dis c’est “N’abandonnons jamais le combat pour notre Afrique”. J’aime d’où je viens et je suis profondément africain. Ma mission, c’est promouvoir la culture nigériane, africaine et faire du bien »
Pourtant, à sa manière, Davido est pétri d’une certaine forme de panafricanisme. « Je me lève chaque matin et je vis avec la pauvreté, la corruption… Je ne peux pas dire : “Arrêtons d’être complexés, tout va bien”. Non, moi ce que je dis c’est “N’abandonnons jamais le combat pour notre Afrique” », reprend-il avec conviction. Il lâche son smartphone et poursuit d’un ton pénétré : « J’aime d’où je viens et je suis profondément africain. Ma mission, c’est promouvoir la culture nigériane, africaine et faire du bien. C’est tout. En échange, j’ai de l’amour et du cash. »
Du cash, l’enfant gâté de Lagos en fait beaucoup. Apôtre d’une réussite qui se traduit en voitures et en motos de luxe, en filles accortes ou vulgaires et en bouteilles de grands champagnes, Davido n’aime rien tant que se faire couvrir de dollars quand il chante pour les milliardaires. « Thirty billion for the account. Versace and Gucci for your body, baby », chante-t-il dans « If », l’un de ses derniers tubes qui enregistre plus de 48 millions de vues sur You Tube.
L’amour, principal thème de ses chansons, c’est plus compliqué. Les filles, souvent plantureuses, qui se succèdent dans son lit, ont pris l’habitude de publier sur le Net des photos de son corps assoupi et des sex-tapes. Pas de quoi néanmoins entamer sa popularité.
Des présidents comme le Gabonais Ali Bongo, le Rwandais Paul Kagamé, le Burkinabé Roch Marc Kaboré, le Sierra-Léonais Ernest Bai Koroma, et le Nigérian Muhammadu Buhari ont compris qu’il était stratégique d’offrir à leur jeunesse un show de la star, pendant ou après une campagne électorale. Qu’importe son attitude de rebelle, ses frasques chroniquées par la presse à scandale de Lagos qui aime tant le mettre en rivalité avec Wizkid, l’autre enfant prodige de l’afropop, issu, lui, des quartiers populaires, plus énigmatique, plus raffiné.